Je découvre Sunila pour la première fois un samedi de février 2005. Cette jeune fille est assise aux côtés de sa mère sous le péristyle de l’orphelinat de Duwakhot. Elles sont venues rendre visite à Sunil, le petit frère, pris en charge par Thanaka depuis 2003. Le teint mat de la famille ne trompe pas, il s’agit d’une basse caste. Cette famille vit dans des conditions précaires, dans un micro-village situé à 15 km de Bhaktapur.

Au moment où notre van taxi s’éloigne pour emmener les enfants en pique-nique, Prithivi me confie : « Tu as vu François, la maman se cache les mains dans son pashmina. Tu sais pourquoi ? ». La suite est difficile à entendre : « Elle est atteinte de la lèpre ! ». 

Tout juste quelques mois plus tard, me revoilà au Népal. Nous faisons rapidement un point avec Prithivi. Il m’annonce que l’état de santé de la maman s’est dégradé. Elle se contente d’implorer le Chaman du village. Prithivi a même pris sur ses économies pour aider financièrement la maman. La décision est prise dans l’urgence : Thanaka prendra en charge les soins. Rendez-vous est pris auprès du médecin de l’ambassade de France.

Malheureusement, elle n’a pas le temps de rencontrer le médecin, nous l’hospitalisons au Bir Hospital de Katmandou ; elle décède très vite d’une septicémie. La nouvelle nous foudroie. Le remord de ne pas être intervenus plus vite est terrible. Quelle émotion aussi, d’apprendre, qu’au respect des traditions, c’est le petit Sunil, âgé de 9 ans, qui met le feu au bûcher de crémation.

Le père ne peut plus s’occuper de Sunila. Après son petit frère Sunil, nous la prenons à son tour en charge, dans notre maison d’enfants. Sunila a 10 ans et n’a bénéficiée d’aucune scolarité jusqu’ici ; elle ne sait ni lire, ni écrire. Sunila fait des efforts surhumains pour rattraper son retard. Au Népal, il n’est pas rare de trouver de fortes différences d’âges dans une même classe. Les progrès sont très vite au rendez-vous. A chacune de nos visites, nous constatons combien Sunila travaille tard le soir et met tout en œuvre pour s’améliorer.

Les années passent. Ce n’est pas l’adolescente la plus âgée de notre maison Thanaka mais c’est sans doute la « didi »  (grande sœur) qui manifeste le plus de bienveillance. Elle coiffe les petits le matin, les aide pour les devoirs et ne manque pas de recadrer gentiment leurs débordements. Derrière son grand sourire et son sens de l’observation, se cache une jeune fille assez réservée qui s’épanouie néanmoins de plus en plus. C’est une perle du logis qui ne manque pas d’aider Surya et Prithivi en cuisine et qui d’après les enfants, est la meilleure cuisinière de la maisonnée.

En 2013, Sunila obtient son diplôme de fin d’études secondaires. Elle souhaite poursuivre ses études dans le secteur du tourisme. La jeune fille se porte volontaire pour aider dans la guesthouse d’une association népalaise formant des femmes au métier de guide. En échange de ses services, les « three sisters » lui offrent l’hébergement et la nourriture et Thanaka prend en charge la poursuite de ses études.

En février 2016, lorsque je rends visite à Sunila celle-ci fond littéralement en larmes : « je ne sais pas comment remercier Thanaka de tout ce que vous m’avez apporté ; et toute ma vie, j’aurai aussi de la gratitude pour Prithivi et Surya que je considère comme ma famille ! ».

Sunila travaille aujourd’hui dans un restaurant touristique plutôt huppé, au bord du lac de Pokhara. Elle avoue qu’elle aurait aimé poursuivre pour obtenir un niveau d’études encore plus élevé mais qu’elle préfère travailler pour aider financièrement son père et son demi-frère.

A l’image de nombreux népalais, Sunila incarne la bienveillance et l’humilité.