Le parcours d’Alina est sans doute l’un des plus chaotiques que nous ayons eu à suivre avec Thanaka.
A l’âge de 12 ans, cette jeune fille aura été l’une des plus âgées à être accueillie dans la maison d’enfants Thanaka de Gaïkhur. Avec son frère Pradip (7 ans), elle nous a été recommandée par Sunil, qui nous a prêté gracieusement cette maison pendant quinze ans.
Alina a vécue dans la vallée de Kathmandu, dans la petite ville de Thimi. D’après Sunil, il fallait absolument lui permettre de sortir d’un foyer où régnait la misère et une certaine forme de violence.
Au milieu des onze autres enfants de la maisonnée, Alina retrouve un certain équilibre. Dans cette nouvelle vie très rurale, portée par des rêves de princesse, elle aspire tout de même parfois à une vie plus citadine. Il faut avouer qu’en devenant adolescente, elle dénote par rapport à la simplicité des autres enfants, en arborant parfois une tenue sophistiquée et un maquillage marqué.
A quinze ans, Alina parvient assez brillamment à passer son SLC (diplôme de fin d’études secondaires). Elle aspire alors à revenir sur Kathmandu pour s’engager dans des études d’infirmières. Elle réintègre sa famille.
Dans l’hiver 2011, Eric, membre de l’association, relate sa visite dans son foyer en ces termes :
« Je découvre une chambre d’à peine vingt mètres carrés, dans laquelle deux petits lits sont placés, un coin cuisine aménagé. Alina est au centre de la pièce, sourire aux lèvres entre son frère, sa soeur, sa mère. Je me mets à lui poser des questions pour obtenir des informations qu’un parrain serait susceptible de demander. Très vite, lorsque j’aborde le sujet de sa situation familiale, les sourires disparaissent au profit d’un visage plus grave. Tout va bien. La réserve népalaise reste de rigueur. Je prends des notes… Puis à un moment, Alina pose les mains sur son visage… Les yeux commencent à s’emplir de larmes, celles-ci viennent à couler le long de son visage. Je ne comprends pas bien ce qu’il se passe. Elle s’explique en népalais à Prithivi… La traduction vient. J’apprends que son père, chauffeur de taxi, ne rentre pas toujours au domicile, qu’il ne fournit pas vraiment d’aide à sa famille, qu’il a des problèmes mentaux. Les larmes en disent plus, mais je ne veux pas savoir. J’ai déjà l’impression de pénétrer dans un espace privé qui ne me regarde pas. Je me sens voyeur. J’efface mes notes et les reprends. Je prends Alina par l’épaule, la prie de cesser de pleurer, lui expliquant que l’association fera tout son possible pour l’aider, elle et son petit frère ».
Thanaka prend alors en charge les études d’aide-soignante.
Au fil de son cursus de trois années, le suivi n’est vraiment pas facile pour Dhana et Prithivi, tous deux missionnés par Thanaka. Alina ne donne pas toujours de
nouvelles. Elle devient peu à peu moins assidue. En troisième année, Alina échoue dans certaines matières. Nous sommes circonspects. Sans s’épancher sur les raisons de son échec, Alina nous supplie de lui redonner une chance. Sur de longs mois, elle repasse les épreuves dans les matières défaillantes et obtient son diplôme .
Alina décroche un emploi dans une pharmacie, située près de l’aéroport de Kathmandu. Elle travaille plusieurs mois, avant d’aller reprendre un autre job à deux cents kilomètres de là, à Lumpini, la ville natale de Bouddha.
Aujourd’hui Alina a vingt cinq ans. Depuis quelques semaines elle est de retour sur Kathmandu. Elle s’apprête à réintégrer un travail dans un centre de soins.
Les réseaux sociaux nous permettent de rétablir un contact plus facile. Alina a beaucoup progressé en anglais. Elle s’excuse pour son attitude passée. Au fil des messages, elle s’épanche peu à peu sur ses problèmes de santé et sur ses problèmes familiaux. Parvenant à laisser sa pudeur de côté, elle confesse avoir été dépressive et avoir été soignée pour cela.
On comprend combien elle est troublée par son passé et sa situation familiale. Elle évoque à nouveau les problèmes mentaux de son père et confie que sa mère le rejette en raison de l’attitude qu’il a pu avoir quand ils étaient enfants. Mais Alina lui pardonne : « c’est mon père !».
Dans un de ses derniers messages, elle manifeste sa gratitude en ces termes : « Je prie pour que vous soyez toujours heureux, que les larmes ne vous viennent jamais aux yeux, vous êtes mon dieu. Si vous ne m’aviez pas aidé, je n’aurais pas vécu».