Dès ses premiers balbutiements, Thanaka sera venue en aide un jeune réfugié tibétain. Jigmey est arrivé en Inde après s’être enfuit de son pays d’origine. Après plusieurs années d’exil à Dharamsala, il vit aujourd’hui une vie paisible en Belgique.
Voici son histoire raconté par lui-même.

Je m’appelle Jigmey, Je suis né en 1977 dans un petit village de la région d’Amdo, au Tibet. Mes parents ont 5 enfants. Je suis le 2eme de la famille. Mes parents cultivent la terre. Tous les membres de la famille mangent de la Tsampa [1] qui est la nourriture principale au Tibet, comme le riz et le Dal [2] en Inde.

Mes parents ne sont pas instruits et ne font pas de politique. Quand j’étais petit mes parents nous disaient que sa Sainteté le Dalai Lama était la prunelle de nos yeux mais qu’on ne pouvait pas le voir. A cette époque, je ne comprenais pas pourquoi. Plus tard, vers 16 ans, j’ai appris que c’était un secret.
Je n’ai pas eu la possibilité d’aller à l’école. Mon plus jeune frère a été envoyé dans un monastère et a reçu une certaine éducation. Mes parents auraient voulu nous envoyer à l’école mais c’était impossible à cause de l’oppression chinoise. L’éducation n’est pas importante pour les gens de mon village, c’est dommage. C’est encore la faute de l’oppression chinoise. Mon père voulait nous envoyer en Inde pour étudier.

En juin 99, mon père, mon jeune frère et moi avons quitté l’Amdo et nous sommes arrivés à Lhasa après dix jours de voyage. Lhasa est très différent d’où je suis né. C’est plus développé. Mais j’ai découvert que les gens ne sont pas libres et qu’ils ont aussi peur que chez moi. J’ai vu beaucoup de policiers autour du Potala et des monastères de Sera, Ganden et Drepung. Nous avons voulu entrer dans le Potala qui se trouve au sommet d’une montagne. Tout le long des marches, on pouvait voir des drapeaux chinois. Devant le Potala, il y avait 600 soldats qui célébraient une fête chinoise. Les gens étaient terrorisés.

Mon père nous a alors dit de partir en Inde. Il nous a donné 1000 yuans [3] et nous a trouvé un guide pour nous conduire à la frontière . Il est reparti pour l’Amdo. Il avait travaillé dur dans les champs pour me donner cet argent, ce qui n’est pas le cas des hommes d’affaires de Lhasa.
Mon frère et moi sommes partis pour Shigatse en bus avec 14 personnes. Nous avons atteint notre destination de jour. Il y a là un grand monastère appartenant au Panchen Lama [4]. Nous avons prié et sommes entrés dans Lhatse à 9 heures du soir. Nous sommes descendus du bus discrètement avec d’autres gens. Nous avons grimpé jusqu’au sommet de la montagne. Notre guide nous a dit que la nuit était dangereuse même si nous avions passé un poste de contrôle chinois. Il y avait encore d’autres postes de contrôle à passer. Quand nous l’avons appris, nous n’avons pas perdu courage et nous avons continué. Nous avons marché de nuit et dormi le jour derrière des rochers et des falaises. La nuit, des véhicules chinois passaient et on devait se jeter par terre pour se cacher et éviter les phares des voitures. Après 9 jours nous sommes arrivés au pied du Shar Kangpo. Malheureusement nous n’avions plus beaucoup de nourriture. Deux d’entre nous étaient malades et nous n’avons pas pu atteindre le sommet de la montagne. J’ai essayé de les aider mais découragés ils sont repartis chez eux. J’ai continué avec les autres. Le guide nous a dit que beaucoup de Tibétains qui essayaient de s’échapper mouraient, perdaient leurs orteils, leurs doigts, gelés par le froid en traversant les montagnes enneigées. Quand on criait, de gros blocs de glace tombaient avec un bruit de tonnerre, c’était effrayant.

Après 4 heures de marche, nous avons atteint la frontière népalaise. Nous étions très heureux car nous avons enfin pu dormir la nuit et nous réveiller le matin comme tout le monde. Le problème c’est que nous n’avions rien à manger. Nous avons vendu nos vêtements dans un village pour avoir de l’argent.
Nous sommes enfin arrivés à Katar. Nous avons vu là des voyageurs descendus de bus ou de camions. Nous avons cherché un bus allant à la capitale Katmandu mais des policiers népalais nous ont arrêtés. Ils nous ont gardés en prison pendant 3 jours. Ensuite ils nous ont emmenés au Centre d’accueil Tibétain où nous avons vu nos premiers rayons de bonheur. Il nous a fallu 24 jours pour aller de Lhasa à Katmandu. Puis on s’est reposé deux semaines à Katmandou avant de rejoindre Dharamasala. Mon jeune frère a rejoint le monastère Kriti pour devenir moine. J’ai été envoyé dans une école de transit tibétaine où j’ai appris l’anglais, le tibétain et l’informatique. Un étudiant peut y rester 3 ans. Quand j’ai atteint le niveau 6 en anglais, on m’a envoyé à Delhi apprendre l’informatique pour un an. Ensuite j’ai dû quitter l’école . Je voulais continuer mais c’était impossible. Je ne pouvais pas non plus travailler car mes diplômes n’étaient pas reconnus. Je me suis alors dit que je devrais continuer à apprendre l’informatique afin de trouver un emploi dans un monastère, une institution privée, un bureau ou une institution gouvernementale.

Heureusement, je t’ai rencontré et grâce à ta générosité je peux continuer à apprendre.
Merci.

[1Tsampa : Farine d’orge grillée.

[2Dal : Purée de lentilles.

[3Yuan : Monnaie chinoise. 1000 yuans = 122 euros.

[4Panchen Lama : C’est le deuxième personnage le plus important du bouddhisme tibétain après le Dalaï Lama. Arrêté en 1995 par les chinois qui ont ensuite désignés leur propre Panchen Lama.